Photo: Daniel Dupont

5 février 2000
Les Enrobantes: et si Freud avait été une marionnette?
Sonia Sarfati
sources: La Presse

Enfant, ses quilles en plastique décollaient comme autant de fusées en direction de mondes lointains habités par des p'tits soldats dont L'habit ne faisait pas le moine. (ni le général).

Pas de doute: Pierre Robitaille, membre fondateur et directeur artistique du Théâtre Pupulus Mordicus, est marionnettiste de l'âme jusqu'au bout des doigts. Il est aussi comédien. Et, surtout, touche-à-tout. C'est pour cela que l'art de la marionnette l'a appelé : " J'étudiais en arts plastiques et je faisais du théâtre. Dès mon premier contact avec la marionnette, j'ai compris qu'elle me permettrait d'explorer le côté multidisciplinaire de mon expression artistique " , indique-t-il en entrevue téléphonique de Québec. Où il fait une pause entre deux séries de représentations des Enrobantes, cabaret décolleté pour psychanalyste plongeant.

La pièce - mettant en vedette quatre comédiens, deux musiciens et 14 marionnettes, et gagnante du Masque de la Production "Québec " en 1998 - vient en effet de faire un nouveau tabac au Périscope. Elle arrive à Montréal le 9 février, où elle devrait brasser la salle Fred Barry du Théâtre Denise Pelletier.

" Dans une version qui, depuis la création, a mûri au niveau du texte, de la mise en scène et de la manipulation ", fait remarquer Pierre Robitaille. Ce qui est tout à fait normal dans le cheminement de la troupe fondée en 1995 par trois copains aux talents multiples qui avaient envie de présenter quelque chose aux Médiévales. Cela a donné Faust, le pantin du diable. Un " quelque chose " qui a en fait duré tout l'été, a remporté le Masque de la meilleure production "théâtre en été" en 1996 et est parti en tournée loin et souvent.

Le Théâtre Pupulus Mordicus avait trouvé son terrain de jeu théâtral, celui de la marionnette en interaction avec le comédien - et pas seulement au niveau de l'intrigue. Une " fusion " possible grâce à la manière de faire de la compagnie : " Nous sommes un collectif de créateurs. Il existe un parallélisme dans le travail d'écriture, de fabrication des marionnettes, de la conception des éclairages et de la scénographie. On sent l'imbrication, l'osmose à tous les niveaux. "

Sur le plan de la production, l'imbrication peut se résumer ainsi : le texte des Enrobantes est signé Marie-Christine Lê-Huu, mais vient d'une idée de Pierre Robitaille qui a conçu les marionnettes, a participé à l'élaboration du décor et joue dans ce spectacle mis en scène par Gill Champagne, etc. Sur le plan du jeu, l'osmose comédien/marionnette s'est par exemple vu durant Faust, lorsque les spectateurs ont juré avoir aperçu la marionnette cligner des yeux et verser une larme. " Mais c'est mon visage qui était là ", s'amuse Pierre Robitaille.

Dans Les Enrobantes, dont l'intrigue se situe à Vienne dans les années 30 et met en scène nul autre que Freud, le lien entre l'artiste et sa créature est plus évident. Nous sommes en présence de l'homme et de son double. Son Moi, son Ça, son Surmoi, au choix. Mais peu importe, l'homme, lui, le père de la psychanalyse, est durement mis à l'épreuve. Le spectre de l'impuissance plane sur lui. Traqué par son épouse, par Mélanie Klein et par Carl-Gustave Jung, il se réfugie dans un cabaret minable. Et dans les bras de la sublime Lola - histoire de se faire remonter (le moral, s'entend).

" La première partie est burlesque… mais avec un texte raffiné, poursuit Pierre Robitaille. Puis tranquillement, les personnages et le public sont amenés vers une compréhension plus grave de ce qui va se passer. Les années folles sont finies, les mouvements artistiques et sociaux sont en effervescence. Et nous sommes à un pas de la Deuxième Guerre mondiale... "

Un scénario permettant d'explorer les caractéristiques qui, dit Pierre Robitaille, distinguent le théâtre de marionnettes pour adultes fait au Québec de celui qui se fait en Europe : le spectaculaire, le " showbiz style Broadway " et l'irrévérencieux.